Un duo Izoard/Valprémy. Si les tandems poète/ plasticien sont monnaie courante dans l'édition poétique, il est plus rare de voir s'associer deux poètes pour signer un livre à deux mains. Mais il ne s'agit pas ici d'une création menée simultanément puisque Jacques Izoard a écrit seul 80 poèmes qu'il a ensuite offerts à Michel Valprémy, à charge pour celui-ci d'y rajouter son grain de sel. Périlleux exercice. Qui prendra la vedette à l'autre ? De défi il n'y aura point. Les mots seuls sont en course. Sur un rythme endiablé : Ton sel, vite ! ta bave, tes mots qui mouillent, tes mots qui saucent mes mots très-secs. Le ton est donné. Chassé-croisé virevoltant. Cela ressemble à un concert baroque. On y entend des voix qui interpellent, d'autres voix en écho et celles qui interrogent. On ne sait pas très bien où on se trouve. Il y a des chevaux, du vent, des fantômes en socquettes, quatre mains pour fouiller tandis qu'on pisse en 8 sur le désert des fèves. L'ensemble sonne juste. Les interventions de Valprémy, d'abord tenues à distance des vers d'Izoard, ne tardent pas à monter aux créneaux pour s'y mêler de près, prolongeant la dictée initiale, y mettant quelques coups de pied. Les Petits crapauds du temps qui passe offrent un véritable feu d'artifice d'odeurs, couleurs, touchers, frémissements, cris, vacarme, sang, explosions, os, brasier... L'impression qu'ayant allumé la mèche, toute la partition s'embrase. Dans un dialogue final entre les deux poètes Jacques Izoard confie vouloir délivrer les mots de leur sens pour les aérer. Tout le corps, dit-il encore, est traversé de poèmes qui bougent, respirent et craquent aux jointures. Les Petits crapauds du temps qui passe en sont une vivante illustration.
Alain HélissenLe mensuel littéraire et poétique n° 341 mai 2006