D’elle, je n’exige rien, ni ongles peints ni cheveux bouclés. Je ne l’oblige pas à montrer ses genoux, sa première dent de sagesse. Elle m’offre un œillet nain, des épices sable et feu, des chiffons de soie imprimés à la main. Cinq fois par jour, elle sert le café. Alors, elle raconte la mer, des sagas interminables où les filles n’enfantent jamais, au grand jamais. Ensuite, elle s’attarde sur la symbolique du hibou, du scarabée, grimace si j’avale goulument, pressé d’en finir, le dernier biscuit. Sur le pas de la porte, elle parle d’un garçon singulier qui ne rit jamais quand, à l’heure du couché, elle cache les pyjamas. J’imagine une chambre austère, sans lumière, le corps blanc d’un homme du nord, une chaire glabre, pure.
Depuis peu, elle mange des feuilles d’eucalyptus, pastelle en rose des lapins vivants ; elle enfile ses manteaux, ses blouses, ses gilets, derrière devant, comme des camisoles. Elle dit que le garçon qui ne ressemble à personne part bientôt. Elle ne pleure pas. Moi, oui. Je ne sais pas sur qui.
Quitte à mourir de soif, à me rendre sourd, vers les vingt deux heures trente, du printemps au printemps, elle n’a d’autre souci que de relater par le menu les vétilles d’une journée qu’elle ne parvient pas à remplir. C’est une anecdotière pure et simple. Tout en palabrant, elle pince, froisse, poisse l’extrémité de ses cheveux ; c’est le tic que je préfère, plus que le roulement outrancier de ses yeux, plus que le plissement convulsif de son nez ; je l’avoue sans sourire. « Mieux vaut être clown que croque-mort ! » Répond-elle vertement. Puis, sur la lancée, elle me reproche (c’est son seul reproche) ma peau parfaite ; l’absence de points noirs. Vient ensuite le récit minutieux des espoirs d’avancement, des nominations improbables, une spéculation insoutenable. Epuisé, les paupières lourdes, je finis par cracher la mousse rosée de ma patte dentifrice sur ses pieds et ses bras. Elle dit : « répulsion du soir, attraction du matin ! »
LPDA n°108, novembre 1996
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