Quand, comment, pourquoi as-tu commencé
d'écrire ? Quelles influences ? Pourquoi continues-tu d'écrire ?
Quand ?
Tard, en 1964, j'avais
dix-sept ans. Je dis tard vu que, jusqu'à cette date, l'écriture et la lecture
ne jouèrent aucun rôle particulier dans ma vie, à deux exceptions près. Tandis
que la scolarité s'envasait dans une honnête et constante médiocrité, je ne
lus.de mon propre chef .qu'un Steinbeck, Des souris et des hommes, et
n'écrivis pour moi-même qu'une narration relatant un cross poussif sous
la pluie, un trot désespéré qui s'achevait dans le foin d'une grange au parfum
acre ; il y avait des larmes.de la pluie, des odeurs, je me promettais
d'en finir avec un corps par trop encombrant. Des broutilles donc. En revanche,
dès l'âge de huit ans, je pris goût à la correspondance. Le dessin, sans doute,
me permit de m'épancher avec un soupçon de singularité ; mais, c'est dans
la manie des catalogues, des listes, des répertoires circonstanciés, manie qui
soulignait une tendance à collectionner tout et n'importe quoi — petits trésors
— que je peux reconnaître aujourd'hui l'embryon d'une écriture.
Comment ?
Il y eut d'abord un Carnet
du désir où je réunissais les passages érotiques des livres qu'on me
prêtait (Miller, Tropique du Capricorne) et une sorte de catalogue
exhaustif de mes lectures que je résumais avec soin (nombreux ouvrages sur les
religions, l'ésotérisme). Puis les deux cahiers se mêlèrent, les commentaires
s'étoffèrent. En 65, mon Journal ne contenait plus les scènes
licencieuses ; les notes de lecture (sans condensés), les observations
personnelles sur la vie quotidienne, la famille, les rencontres, l'amour
alternaient avec les premiers poèmes, les premières fictions brèves. Il s'agissait
de faire bloc, un ensemble compact, loin de tout éparpillement. Je n'ai jamais
cessé de tenir un Journal qui a perdu sa forme monolithique, mais n'en
demeure pas moins le sédiment de mon travail.
Pourquoi ?
Il doit bien y avoir une
raison, ou plusieurs ; un point de départ, ou plusieurs. Je dirais tout de
go : écrire pour me reconstituer un corps. Je crois (je m'en suis
peut-être convaincu) que je connais l'origine exacte de la douleur ; oui,
je ne veux pas seulement qu'il en soit ainsi, écrire pour me reconstituer un
corps, le corps — intact — antérieur à la cicatrice ( œuvre du bistouri ), à
l'odeur de charogne, le reconstituer, ou, suite à la mésaventure de l'obésité —
une trop longue clôture forcée — le rendre non pas opaque, mais simplement ordinaire.
En fait, j'ai commencé de lire, d'écrire quand le corps commença de prendre sa
revanche. D' une part je sortais mon corps, je le présentais au monde
extérieur, d' autre part je notais les aléas, les avatars de cette parade.
L'écriture entretenait l'isolement, elle le nourrissait. Un extraordinaire,
un insatiable besoin d’aimer et d’être aimé, je crois que c’est cela qui m’a
poussé à écrire ; besoin quasi mystique, au surplus, car j’acceptais qu’il
ne trouva pas, de mon vivant, sa récompense. (Gide)
Quelles influences ?
Si je dois à Jules
Laforgue ma première émotion littéraire : Convalescent au lit, ancré de
courbatures/Je me plais aux dessins bleus de ma couverture, Valéry fut mon
poète élu, Valéry avant Mallarmé et Rimbaud. Mais, je me donnai Gide pour
maître. Je le lus in extenso avec avidité et méthode. Narcissisme, libération,
goût de l'effort, individualisme, tout cela résonnait clairement en moi. Gide
ne m'a plus quitté, je le choisis pour mon mémoire de maîtrise, son Journal
est toujours à portée de la main, cet été je relus Paludes non sans
enthousiasme et je considère La tentative amoureuse comme un bijou précieux
(aux deux sens du terme). Peut-on parler d'influence ? Je ne saurais dire.
Pourtant, je peux me retrouver dans ce raccourci : Il est porté d’une part
vers l’effusion lyrique et la confession, d’autre part vers la parodie.
(Maurice Nadeau, préface à l'édition de La Pléiade)
Exception faite de mon Journal
que je truffe néanmoins de nombreux sic, ce que j'écrivais n'était qu'un
charabia. Je le dis sans fausse modestie ; il y entrait, au contraire,
beaucoup d'orgueil. Il s'agissait d'être occulte, absolument hermétique. Je
devais être le seul à me comprendre, voire à me lire — calligraphie minuscule,
au plus serré — et, d'ailleurs, pendant quinze ans, je tins mes écrits au
secret.
Aujourd'hui, j'éprouve une
grande admiration pour René Crevel et le Tony Duvert de District ou des Petits
métiers.
Pourquoi continuer ?
Je ne me souviens pas,
depuis 64, d'une seule journée sans écriture. J'ai eu dès le départ le
sentiment d'un vécu bancal, atrophié s'il n'était pas écrit. Maintenant, je me
dis que je ne continue pas d'écrire ; c'est la vie extérieure qui continue
son cours. Cherché-je un peu d'éternité, c'est-à-dire d'immobilité ?
J'écris parce que le corps
a perdu (il avait perdu d'avance, le ver était dans le fruit), parce qu'il
feignait de l'ignorer dans ses relatifs triomphes— scène, séduction, passion
amoureuse. Il était incurable. L'éden interdit, il fallait le rebâtir. Mais,
seuls les vestiges parlent du vieux monde.
Quelques questions complémentaires.
Dans quelle mesure le rythme peut-il, chez toi, prendre le pas sur le
sens ? Quel est ton sentiment vis-à-vis des objets ? Y-a-t-il là un
rapport avec ce goût des catalogues, des listes et du journal qui transparaît,
plus ou moins déguisé, dans tes écrits ? Pourquoi ces références
moyenâgeuses ?
Gide encore : L'exigence
de mon oreille, jusqu’à ces dernières années, était telle que j’aurais plié la
signification d’une phrase à son ombre. Puis, La musique de la phrase…
j’y attache aujourd’hui moins de prix qu’à sa netteté, son exactitude et cette
force de persuasion compagne de son animation profonde. Si je souhaite
obtenir des forces égales entre le rythme et le sens, j'accorde plus de valeur
— plus de pouvoir sur moi — à ce dernier. Je redoute l'effet de style en rupture
avec l'ensemble du texte ; s'il s'impose, je le signale ironiquement, je
fais en sorte qu'il en soit ainsi. Peut-être cherché-je un rythme au-dessus du
texte, un éclairage diffus et enveloppant, exactement comme je découvre chez
Sylvie Nève un sens au-dessus du poème.
Les objets volumineux, les
meubles imposants m'indiffèrent et je n'ai aucun goût pour l'accumulation
immédiate contrairement à T. avec qui je vis. Lenteur, acquisition
progressive ; objets de peu, de rien, toujours très symboliques et
affectifs, objets de la mémoire, usés, empoussiérés. Dans l'écriture, il n'y a
pas de premier jet, un bloc que je pourrais modifier, araser, augmenter. Je peux
revenir en arrière sur un paragraphe considéré comme définitif, j'ignore les
longues échappées, le sprint. Du mot à mot, chaque jour une nouvelle pièce
apportée au puzzle. Il est vrai que la forme du journal me convient, pour sa
rigueur, la régularité, et aussi pour la possibilité d'une improvisation — une
illusion de liberté —à l'intérieur d'un cadre strict.
Les références moyenâgeuses ?
Je parlerais plus volontiers d'archaïsme rural, celui que j'ai connu, aimé,
plus qu'aimé enfant, dans un village de Dordogne. Je crois avoir usé, abusé
sans doute, dans mes textes de rituels mixtes ou bâtards. Ils furent ma première
invention et constamment présents dans les jeux de groupe : sacrifices,
messes rigolotes ou franchement paillardes, mimodrames et bluettes, parcours érotiques
initiatiques ; toujours en un lieu précis, nettement délimité, sanctifié —
une enceinte.
Ch. Petchanatz, Septembre 1988, publié dans Morceaux choisis, LCF, octobre 1991
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.