dimanche 21 juin 2009

Laïs à sa fenêtre


à Sylvie Nève


Wilhelm von Augsbourg, Girolamo da Fossano, Gaston de Roubaix, je vous adoube et vous cajole. Je baise vos heaumes et l’échancrure de vos cottes de mailles. Je lèche le sang séché des blessures. Je couds les lèvres des balafres. Je trempe vos corps pâles dans un bain de coquelicots et je ponce, frotte, étrille à tour de bras vos peaux fragiles comme un linge de pucelle ou râpeuses comme le tronc du chêne. Agenouillez-vous champions pour exalter mes soins! Qui du vaincu ou du vainqueur sera l’élu de la mie-nuit ?

Des retouches? Un soupçon de rose? Que nenni! Je suis adorable ce matin, un marbre de maître, un bronze, la sublime, l’éternelle adulée. Toutes les femmes du monde - le pire et le meilleur - ceignent leur front de mon bandeau nocturne et les pivoines blanches, une à une, célèbrent mon nom. Je marche dans la clameur des louanges, dans le boucan des vivats. Le vent m’aime, et l’eau, les petits nuages, les tornades, la mousse, les enfants. Compagnon, poète, délie ta langue et calque mon combat !

De l’ombre du col & de l’os
(O Athos!)
Colombe blonde & la gaine &
L’épée à ta plaie
(O Thanatos!)

J’ai vu ceci, cela aux quatre coins de la planète, des hommes, beaucoup d’hommes tout à fait sûrs d’être l’homme, hommes de main, tripoteurs et gifleurs, hommes de peu, de rien, abbés, courtiers, consuls, permissionnaires, des rues entières, des tavernes remplies, tant et trop dans les souks, les comices, aux marches des palais, des mosquées, toujours plus, grappes, escouades, congrès, des hommes à perte de vue, du plus loin que je me le rappelle.(5) Des gigolos sportifs, des bellâtres en maillots baisent mes gants.(6) Les officiers à cheval qui passent sous ma fenêtre sont à l’étroit sous le velours de leur culotte, quelques uns, audacieux, soulèvent leur képi, leur beau képi à turban, et j’admire tous ces postérieurs, ces croupes fermes qui rebondissent en cadence et lustrent le cuir fauve des selles.

Soldats, bataillez sur ma peau,
Je sais des manœuvres exquises.

Elle a osé. L’autre, la Diane des faubourgs, celle qui n’est que l’autre, l’indécente aux cheveux lisses, la garçonne obscène, misérable fleurteuse des salons, qui pleure ses lassitudes mondaines aux genoux d’une sœur, a osé danser nue, plus que nue, comme une barbare, une garce du pavé. Des sels! Les gazettes sont des torcheculs, elles mentent. Des sels! Mon tambourin brise mes nerfs, ma capeline m’arrache la tête, les rubans m’étranglent, les bouquets m’empoisonnent. J’étouffe, je suffoque, je me pâme. Des sels! Qui gigote comme un beau diable, qui croque les entrechats et vole sur les tombes, dans le silence extrême, parmi les feux follets et les ombres blêmes des fiancées défuntes? Qui n’est que brume, vapeur, apparition mousseuse? Qui est la santé de la terre? Moi, Laïs!

A ma fenêtre, j’entrouvre mon déshabillé. Les cavaliers aperçoivent-ils ma gorge? Je ne peux le croire; se contenteraient-ils de sourire? Ne culbuteraient-ils pas sur la chaussée la tête la première? Mes seins, ah! mes seins, mes tourterelles naïves, mes frileuses! Des contrefacteurs copièrent en vain votre galbe racé, votre carnation opaline. Hardi les petits! Je vous dépose sur le fer du balcon, je vous laisse pendre dans le vide juste au-dessus des casques à pointe, et votre gloire, votre musique jettent la panique dans le défilé.

Le sang dans le ruisseau, les drapeaux aux frontons. Pourfendue Laïs aussi.
Les brigands, les rebelles l’adorent et, mouillant le soir au camp les pans de leur chemise rêche, grise de poussière et de sueur mêlées, se souviennent de la belle des belles, de ses coussins lavande.

Laïs, Laïs,
Au clair de ta lune
. . .
La chaude-pisse.

Le Dépli Amoureux n°45, février 1988

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