samedi 7 juillet 2012

Le feuillet trouvé à Emmaüs

Michel Valprémy



II croit qu'il est exactement comme Brigitte Bardot, la B. B. d'autrefois; il ne fait pas le capricieux, il a des envies subites. Par exemple, il aime à l'occasion — mais c'est alors irrépressible — manger dans mon cul; je veux dire que les aliments doivent donner 1' illusion de sortir, de s'écouler de mon trou, le miel, les confitures, les radis avec leurs fanes, les champignons de Paris, la cuisse d'un poulet, d'une dinde, les œufs mollets...etc. Ce matin, contre mon gré (j'étais fin prêt pour partir au bureau), il voulut essayer avec du yaourt parfumé à la vanille. Je pestai pour la forme car je n'ai jamais su lui résister. Je dégrafai ma ceinture, baissai mon pantalon et m'allongeai sur le vieux sofa qui en a vu et en verra bien d'autres. Là, je dus moi-même, et sans rouspétance, maintenir mes fesses écartées. Il secoua longuement le pot, prit tout son temps pour le décapsuler. Je bouillais, j'étais déjà en retard. Enfin, goutte à goutte, il versa le yaourt devenu, répétait-il, parfaitement onctueux. Quand je sentis sa langue commencer le lapement, je lâchai un pet formidable. Je l'entendis rire. Je me retournai; on eût dit qu'il avait neigé.

Les lectures érotiques ne me valent rien. Enfin, si, puisque au bout du compte je finis toujours par me branler. Pourtant, ensuite, je ne comprends pas pourquoi mon voisin d'en face me prive de son anatomie basanée, pourquoi je ne lui présente pas la mienne, pâle certes, mais encore fort consommable. Or, cette nuit, après lecture d'une volumineuse anthologie de textes sulfureux, je fis un rêve qui me contenta pleinement. Lautréamont baisait Breton en levrette. Le comte, doté d'un organe de solipède, ne ménageait pas sa peine; il ahanait bruyamment, postillonnait, éructait. Le pauvre André mordait l'oreiller ou bredouillait : Je n'ai rien contre les pédés ! Je le jure ! Je n'ai rien contre les pédés !

Je dînais en compagnie de trois jolies femmes, deux jolies et la troisième plutôt chevaline. On nous servit des bavettes à l'échalote accompagnées de curieuses pommes dauphine, oblongues, grenues, presque aussi grosses que des abricots. Je comptai: six paires de couilles dans mon assiette. Tout en caquetant, mes compagnes les piquaient avec leur fourchette et les mâchaient comme si de rien n'était. Pour ma part, je les pris délicatement deux par deux en bouche et les laissai fondre le plus lentement possible. Personne ne me demanda la raison de mon silence. La dernière paire connut un autre sort. D'abord, sous la table, au creux de ma main gauche, je la soupesai en expert. Puis je fis semblant de laisser tomber ma serviette et déposai les roustons refroidis sur le carrelage. D'un coup de talon, je les réduisis en miettes.

A la foire à la brocante nous nous disputions âprement le Perséphone de Gide. Soudain, il me regarda droit dans les yeux et me céda la plaquette. Il alla même jusqu'à me l'offrir. J'acceptai donc de prendre, chez lui, le verre de l'amitié. Il avait la soixantaine, était bien mis, sans recherche excessive. Il s'étonna de ce qu'un garçon de mon âge s'intéressât à Gide, un vieux grigou ajouta-t-il. Passant du coq à l'âne, il me demanda ce qui, sexuellement parlant, me procurait le plus de plaisir. Au lieu de répondre haut et clair la vérité, autrement dit tout ou quasiment, je ne sus que murmurer: Les seins. Alors, pendant une heure, le vieil homme dont je ne vis plus que la tonsure, lécha, mordit, aspira, titilla, grignota, pinça mes tétons avec un savoir-faire rarissime. Nous en restâmes là. Tranquille et amusé je rentrai chez moi. Dehors, un léger souffle agitait ma chemise restée entrouverte; le frôlement du coton sur ma poitrine suffisait à entretenir une douleur extrêmement aiguë. Et je me souvins d'une autre douleur, du dépucelage, d'un anneau de douleur, témoin de la brutalité délicieuse de mon premier amour.

Chris, mon travlo préféré, vient de me raconter qu'un de ses clients de la veille était si pressé qu'il ne prit pas le temps d'atteindre son quatrième étage; il l'encula dans l'escalier. Pour se venger, Chris lui chia sur la queue.


L'Arbre me hante n°2, "Pornographie", janvier 1990

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