jeudi 12 juillet 2012

Porchaison

Michel Valprémy



Je lui ordonne de faire le cochon ; pas pour rire ou me moquer ; pour voir. Il pleut partout depuis des mois, dans les chambres, sur les lits, les tapis. Le vioc, il a cent ans, ne se fait pas prier. Il applaudit, trépigne. Je suis la poupée qui parle, le baigneur nu d'une fillette impatiente, l'os à moelle d'un gros chien pas méchant

(Déjà dodu l'animal ! Il y a du rouge baiser, des lunes cerise sur le petit boudin de lait. Rejoins tes frères, trois ou douze à disputer du sein, des tétines. Ô mon pécari, mon babiroussa, ma fleur de lis, ma France ! Profite, profite!)

Va-t-il me border ? Me dévorer ? Le vétéran, il a mille ans, ôte ses frusques avec des gestes de sacristain ; la précaution, les plis. Il froisse son nez, tire la langue. Il veut garder ses chaussettes. Est-il pied-bot ? Ne veut-il pas illico montrer ses onglons ? Ne se lave-t-il que tous les trente-six du mois ? Les soies luisent sur son poitrail et jusque sur l'épaule, le cuissot. Rien ne tirebouchonne sous la bedaine, rien ne se tend.

(Petit salopard salit le fond de sa culotte. Ce sera museau dedans comme le chat captif qui appelle ses belles. Ô mon marcassin, mon goret, gentil pourceau, pourriture de ma vie !)

A quatre pattes, le vieux schnoque grommelle ; ses seins pendent comme ceux d'une truie pleine et ça ballotte un peu. Je ne touche pas, je me retiens ; l'espoir le prendrait à la gorge, le tuerait trop vite, plus que la gitane papier maïs.

(Au charbon, au pétrin ! Les doigts souillés triturent le corps du pain. La langue fouille l'orifice dans le mur et lèche le bord coupant de la caisse aux sardines. La fourche pas fraîche des gamines palpite ; la surprise, le danger. Ô mon pigeon, mon bonhomme hardi, ma très grande faute !)

Il n'a plus d'âge, et si rosé. Les sangliers m'émeuvent, les solitaires. Je lui désigne son territoire de chasse, de l'orteil à la ceinture. Plus haut et il sera battu, ligoté sur sa chaise percée.

(Sans sagesse, de mardi gras à la Toussaint, sans poils. Les gnons portent leurs fruits, le poison. Ingrat le patapouf boudeur. La colère brise le cendrier neuf, déchire les draps, les compliments sur papier moiré. Porca miseria, Ô ma fille infecte, ma gâcheuse ma pouffiasse chérie !)

Un cinq à sept complet ; son groin fouisseur au cœur du remugle ; les coups de boutoir, la morsure des broches m'interdisent le rêve. Je me dis que le sommeil, après, sera profond. Des visages inaccessibles, frais, des enfants parfois clignent de l'œil et fondent dans la brume — Ô mon poulet de grain, mon oie grasse, ma sangsue ! Je lui ordonne de prendre le coutelas, de me saigner pour de bon — Ô !

Morceaux choisis de M.V., Les Contemporains favoris, octobre 1991

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