dimanche 8 juillet 2012

Manu scriptus

Michel Valprémy



à Christian Degoutte

Est un nuage, une fumée. Si l'ombre sur la page, l'ombre molle, comme bulle d'eau claire, de lessive grise, n'éveille en sa fenêtre, en sa buée, le poussier des mots au cordeau.
Est un champ de fourmis sur la pelure, fourmis muettes (d'abord), sage, velues, dressées au sillon, à la règle, à la plume, tenues à carreaux.
Est bitume et bouillie. Pourvu qu'il pleuve, qu'il pleure. Passent les ombres encore et les figures. Cambré l'hippocampe, roi de Thulé, fille de Minos, elle, moite, presque pâle, presque rosé au contour, en atours, avec l'aube de l'ampoule et le désir frangé. Et toujours, d'ouest en est, dans les marges, l'acrobate écartelé, le trèfle naïf, le crâne des vanités, toujours l'homme qui plonge, qui meurt, et ces croupes comme des oiseaux, comme d'autres nuages, ces culs gonflés, froncés, ces cierges hauts, ces pendeloques.
Est un mirage de suie, une flaque d'or noir. Là, si l'œil pétille, badine un brin, je m'innombre et rature (oui et non en vo-vocalises, en vibrato). Ô Véronique, sainte straight du papier calque !
Est un blason bondé. Colonne Trajane ou sentier de chèvres, leurs pastilles cachou, les silex en sauce.
Est dentelle aux doigts graisseux, écume ouvrière, du flux au reflux (les mouches cette fois, leurs pattes, leur nid de chiures), écume donc, mousse de langue, ni sang d'orgueil brûlant ni sperme froid. Juste un rhume de mai, un prurit d'entrecuisses.
Est limaille en frisons, petit plomb, impression soleil crevé. Escarbille et copeau, misère ! l'accent fautif, zéro pointé. "Qui rit vendredi, Comanche bramera !"
Est une tresse anodine, un tricot d'aiguilles vives. Tantôt, tantôt. Confection ad hoc, illustration jacquard, layette garnie. Vienne l'accroc, vienne la bourre ! Cousue la tripe bout à bout, et le yo-yo, l'arc, la corde à linge, le fil des haricots, de l'eau, des jours anciens froissés au fond des poches, empilés comme tuiles et cahiers, pendus au clou.
Est parchemin brûlé, portulan des mortes eaux, cadastre où reposent nos grelots, nos briquets mouillés, le canif des fées, les berlingots cruels. Fastoche ! la croix ! l'énigme à dix sous ! Un ongle en deuil creuse l'écorce, la glace, le lit du drap et, petit à petit, le petit trou d'Eric.
Est un rinceau sans cesse renaissant, une érosion des limbes en cloques.
Est une serre où s'encager et rêver d'aquarium ; trémail d'alevins, de pieuvres homériques.
Est un glaviot (garrot : glotte), un rot céleste, un jus de mer amère (toujours l'homme qui plonge)
Est un étron. Cent fois sur la cuvette...


Décharge n°82, mars 1995

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.