Quand je lus, au
mois de mai 1968, dans le fragment Rachel des histoires brisées de
Valéry, ces trois mots, en italiques dans le texte: "être me perce."
Quand cette très
belle cantatrice allemande, une Isolde, mourut d'amour à deux mètres de moi (j'étais
caché dans la coulisse), mourut d'amour ses yeux rivés aux miens.
Quand un capitaine
au long cours que j'aimais sans y toucher, sans vouloir y toucher, me dit, lui,
sans trop en rire : "Fais pas ton étroite !"
Quand je me sens
osseux, sec comme un coup de trique, un jour de canicule.
Quand IL soupe,
là-bas, dans l'entre-deux.
Quand je dansai le
premier client, l'homme ivre du Mandarin merveilleux ; trois ou
quatre minutes où je ne fus plus moi, ni un autre, mais double, moi et l'autre,
moi montrant l'autre.
Quand la fatigue
musculaire et la privation volontaire de nourriture m'effrangent (une fois,
aussi, un joint carabiné chez Fatima).
Quand je fais
corps avec une foule en fête, quand elle m'embarque — on entend, très près, une
fanfare, ou plusieurs.
Quand, sous la
ceinture, les garçons sentent le foin chaud.
Quand la musique
m'empoigne aux épaules et me secoue comme un prunier.
Quand — j'avais
vingt et un ans —, après une longue période de repli, une maladie pleine de rancœur
et de ténèbres, je fus l'objet d'une dispute entre trois jeunes filles, chacune
disant aux deux autres: "C’est moi qui l’ai vu la première !"
(La scène se passait à Dax, dans une foule en fête, les bandas sonnaient fort).
Quand, même après
un quart de siècle, surgit, en surprise, la nudité de T.
Quand j'attendais
mes amours, longtemps, longtemps, à en mourir, quand "je brûlais dans
mon guet."
M25, 1992 (?)
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