mardi 3 juillet 2012

Jouir sans Glose

Michel Valprémy



Quand je lus, au mois de mai 1968, dans le fragment Rachel des histoires brisées de Valéry, ces trois mots, en italiques dans le texte: "être me perce."

Quand cette très belle cantatrice allemande, une Isolde, mourut d'amour à deux mètres de moi (j'étais caché dans la coulisse), mourut d'amour ses yeux rivés aux miens.

Quand un capitaine au long cours que j'aimais sans y toucher, sans vouloir y toucher, me dit, lui, sans trop en rire : "Fais pas ton étroite !"

Quand je me sens osseux, sec comme un coup de trique, un jour de canicule.

Quand IL soupe, là-bas, dans l'entre-deux.

Quand je dansai le premier client, l'homme ivre du Mandarin merveilleux ; trois ou quatre minutes où je ne fus plus moi, ni un autre, mais double, moi et l'autre, moi montrant l'autre.

Quand la fatigue musculaire et la privation volontaire de nourriture m'effrangent (une fois, aussi, un joint carabiné chez Fatima).

Quand je fais corps avec une foule en fête, quand elle m'embarque — on entend, très près, une fanfare, ou plusieurs.

Quand, sous la ceinture, les garçons sentent le foin chaud.

Quand la musique m'empoigne aux épaules et me secoue comme un prunier.

Quand — j'avais vingt et un ans —, après une longue période de repli, une maladie pleine de rancœur et de ténèbres, je fus l'objet d'une dispute entre trois jeunes filles, chacune disant aux deux autres: "C’est moi qui l’ai vu la première !" (La scène se passait à Dax, dans une foule en fête, les bandas sonnaient fort).

Quand, même après un quart de siècle, surgit, en surprise, la nudité de T.

Quand j'attendais mes amours, longtemps, longtemps, à en mourir, quand "je brûlais dans mon guet."


M25, 1992 (?)

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