Èmilie Warner n'est plus, cette dame infirmière, ni vieille
ni indigne. Je ne la rencontrai qu'une fois au tout début des années 90, à
Bordeaux, dans un bar du quartier Saint-Michel. Elle y est encore quand je veux
m'en souvenir, quand je passe, exprès, devant ce bar. Elle buvait de l'eau
chaude, de l'eau chaude pas trop chaude. Elle me conseilla tout de go d'adopter
une oie car, quoiqu'on en dise, c'est un animal docile, intelligent, et si
commode pour voyager. Elle ne répondait pas toujours aux questions ou en marge,
à travers une vitre. Elle regardait ailleurs, comme un personnage de
Maeterlinck. Oui, sans hésiter, j'ai pensé à une grande sœur de Mélisande. Je
ne savais pas qu'elle écrivait et je crois que chacun l'ignorait. Mais il nous
reste ce conte simple et spécial qu'elle confia à sa fille six mois avant sa
mort. C'est une histoire d'hommes, de trois hommes qui ont une âme tendre,
enfantine, et un pantalon de coutil avec une bosse sur le devant. Alors, puisque
"le bonheur est à tout le monde", ils s'aiment, ils cuisinent, ils
s'occupent du ménage, ils se dorlotent et se soignent quand la maladie vient.
Et l'âne gris n'est jamais très loin, libre, il broute des fleurs. Il a une
amie aussi: une oie qui a le don d'ubiquité.
Editions gaies et lesbiennes, octobre 2001
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.