Entre tous, je suis le plus gros, le plus gras, l’énorme
poussah. Personne ne m’égalera. Jeannot et Luc sont menus comme des haricots
verts, un peu ridicules à voir quand ils se baignent. Je ne me déshabille
jamais, ils rougiraient de leur ventre creux. La sècheresse n’en finit pas
cette année. Je reste à l’ombre de peur de fondre. Je les surveille. Ils
brassent l’eau de la rivière, s’aspergent en riant, collent leur bouche l’une
sur l’autre, glissent leurs doigts trop fins entre leurs jambes, écartent leurs
fesses étriquées pour regarder de plus près. Je mange, je ne perds pas de
temps. Ça leur fait plaisir. J’ai promis, en dehors des repas, d’avaler, toutes
les heures, quatre tartines de pain beurré. Ils ont leur plan. C’est une
surprise, la surprise du matelas de chair vivante.
Les groseilles à maquereau éclatent. Le soleil grille la
prairie. Plus je bois, plus je sue. Je vais au rendez-vous. Mes cuisses se
chevauchent, brûlent. La gourde est vide. Au fond du verger, en pleine lumière,
Jeannot et Luc, nus, jouent aux duellistes avec leur pipeau dressé vers le
ciel. Leur maigreur fait pitié ; à pleurer. Ils se chatouillent. Ils disent
qu’ils n’ont pas assez de quatre mains.
J’obéis. J’enlève mes vêtements. A leurs grimaces, je vois
bien qu’ils jalousent mes rondeurs. Je fais le modeste. J’obéis. Je me couche
sur le ventre, les bras et les pieds serrés. Jeannot et Luc plantent des
piquets autour de moi, éraflent à peine ce qui déborde. Ils parlent beaucoup de
la fatigue, de la chaleur. Ils doivent être comme suspendus dans l’air, la peau
ne toucher que la peau. Les piquets ne sont là qu’en cas de maladresse, de
chute. Ils s’allongent sur moi, gigotent, légers, bouillants et mouillés. Leur
amour pour moi n’a pas son pareil.
Le Miracle tatoué n°1, juin 1990
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