A Suzanne et Albert T.
DECEMBRE 82
Quel chant pour la faucielle plus
loin que le solstice ?
loin que le solstice ?
CADASTRE
tes reins creusent d'Automne l'idée aux
labours une géante (forme loin des haies) te promet
piquets craquent chair plate boue glacée
ton regard et personne proche l'Hiver hâte tes sèves
dru si vite ce champ un Printemps
bas-relief vert houleux et l'invite en fusion
l'Eté variété du pain femme mûre récoltée
elle plus que naître
Le champ (cadastre dans la valise noire)
glisse sous la porte des bureaux.
Expose, explique, développe,
décortique ! tu ne peux pas inventer les chiffres. Tu te rends poreux,
écoute régulière, ordre des registres» Va blanchir ta nuit, je te souffle !
JANVIER 83
(premières photographies aériennes)
diapositives (un seul regard devant
l'ampoule) champ nu brouillard granité sur la terre
un ventre sans cloison (l'opulente
promesse)
ta légende et le songe aux circuits de
notre œil
quel vent quel sable quelle tourbe
effaceront — fard coulant sous le spot direct — l'image millénaire
un tracé de première cellule
— les continents y convergent —
oiseau bordé de blanc que l'avion en
réplique imprime
La poignée de la valise noire se disloque.
Le rêve pèse. On l'alourdit (photocopies, dossiers, trombones, agrafes,
signatures d'encre épaisse). Une à une tu retires en vain les -pi-punaises. On
a fiché l'imaginaire»
FEVRIER 83
II pleut. Le géomètre est retardé. Le
paysan observe le soleil couchant, le vol des oiseaux, énonce la liste des
proverbes météorologiques. Dans nos chambres ("Fusion" avant creuset)
nous fixons l'espoir, t'interdisons les justifications. Qui, à la table des réunions
budgétaires, lui refuse la moyenne ? Ils ont enlevé la fève de sa part de
brioche. Il faut toujours prouver avant d'obtenir les moyens de prouver.
Il souhaite que la concrétisation de ses
fantasmes soit communicable à tous. Il le croit. Il ne fera pas de concessions.
Mais.
On ne s'amuse pas avec la terre, la
récolte. On ne gaspille pas le pain. L'Original ne gagne pas sa vie. Il se
couche parfois à midi l'aube, dort encore à midi.
MARS 83
dans l'orbe satellite le champ poussière,
granule, ocelle, papille. A terre figure de proue d'une province (les foules
masquées viendront au port).
Abstraction rythmée du corps
Un caillou blanchi, note primaire sur
partition serrée, rature claire dans la strophe
Quelques pas d'hommes, technicien de visée
(dés)ordre du décor et du galbe
Graines closes sous le sillon arable
(vapeurs au coït du rayon)
le ver hermaphrodite attend son heure
AVRIL 83
Dans la nuit des germinations le chemin de
l'étoile est un lit renversé
II dit : "Le champ végète."
(double sens des soupirs)
MAI 83
Bordeaux. Parc des Expositions.
Le corps en miniature pourrit, enclos
pour un blanc sarcophage.
LE CORPS STERILE
Le jardinier frappe à sa porte, ôte sa
casquette. Il se gratte la tempe droite, de ses doigts tombent des fragments de
boue séchée. Elle n'est pas surprise. Depuis le jour des Cendres, le jardinier
travaille au fond du potager. Elle l'épie, juchée sur la murette, à demi cachée
par le noisetier. Elle lui jette des silex, des lichens, des brindilles
épineuses, des crottes de chèvre. Parfois le jardinier sourit.
Elle décroche le loquet, entrouvre son
peignoir, appuie ses paumes sur le chambranle de la porte et, au plus vite,
laisse le jardinier entrer en elle. Leurs lèvres ne se touchent pas, à
plusieurs reprises les fronts se cognent. Ensuite elle lui offre du vin, du
pain, de l'ail, refuse un bouquet de crocus et de primevères. Il ne doit pas
franchir le seuil de sa maison.
Elle se couche sur la terre fraîchement
retournée. Elle veut être mère. Elle regarde le ciel net mais repousse le rêve.
Elle regarde le ciel net sans obstination. Elle écoute les pulsations de son
ventre, bruits de source, de caniveau, de chasse d'eau, de fleuve fou.
Un nuage oblong, ocre, partage le ciel.
Soudain son ventre se tait. Elle tremble doucement. L’intérieur de son corps se
résorbe, semble s'évaporer. Sa tête se rétrécit, la jambe gauche s'étire jusque
dans la haie de bordure. Il pleuvra bientôt, elle ne distingue plus qu'un mince
croissant de bleu. Elle ne peut plus se soulever. Elle attendra son enfant ici,
un siècle s'il le faut.
Le jardinier a brisé le manche de sa
bêche, les dents du râteau. Il part vers une ville inconnue. Il ne peut rien
emporter.
Il pleut depuis quarante jours. Il pleut
encore. Elle ne sera jamais mère. De son corps il ne reste qu'un contour distinct.
Puis l'herbe efface tout.
Le jardinier a changé de casquette. Il y a
quelques lettres dorées cousues sur la visière.
JUIN 83
Un boisseau de blé, quelques signes de
notre culture traverseraient les mers, les grands massifs. Utopie en regard de
l'acuité des combats politiques et sociaux, en regard des questions de
survie ? Offrir certes, que le don ne soit pas dérision, insolence,
satisfaction du privilégié.
JUILLET 83
Le monde rural, les associations
culturelles et sportives, toutes les ramifications prévues et imprévues
participeront au projet initial sans le déborder, sans en détourner l'évolution.
La genèse de la "Femme de blé"
n'appartient qu'à lui. Il le sait même s'il ne le dit pas, ne le dit plus. Nous
autres, proches ou confidents, nous ne sommes que pièces rapportées, parfois,
au meilleur, arcs-boutants. Nous l'avons admis ainsi, dès le départ. Il doit
aussi réussir contre nous, conte nos mises en garde, nos atermoiements, nos
silences. Nous nous situons souvent en retrait de ses espoirs.
AOUT 83
(Marsaneix)
… déesse de la fécondité. On a régressé
vers un inonde irrémédiablement perdu, une fiction tribale.
Le cortège païen, promenade des fous, se
dépouille sur le parvis. L’église abrite le pain sculpté.
" L’Artiste " disent les
moissonneurs.
SEPTEMBRE 83
FEMME DE BLE
il s'agit toujours d'une femme d'une femme
entre toutes les femmes d'une mère entre toutes les mères d'une fille aux yeux
d'amante d'une amante d'une mère
il s'agit toujours de la vie de la vie
d'une fille fille verte et claire et brune d'une amante du ciel et de la terre
de la vie d'une graine de la terre de la vie de l'eau et du ciel de la vie
d'une sève de la vie d'une mère
il s'agit toujours de la mort de la mort
d'une fille amante et mère de la mort d'une sève fructueuse de la mort d'une
sève épuisée
il s'agit toujours de la naissance de la
naissance d'une fille fille de l'amante fille de la mère fille jumelle de la
fille fille du ciel et de la terre
il s'agit toujours d'une femme toujours de
la vie et de la mort de la naissance toujours d'une femme
Inédit (Ecrits pour Thomasson)
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