Après
dissipation des brumes matinales, il pleuvra au nord du pays et le sud
souffrira du manque d'eau ; melon et pastèque ne feront qu'un cette année.
Un
otage richissime et beau, un marquis peut-être, perd une oreille, puis l'autre ;
deux colis sanguinolents sont déposés dans les ruines de Castel-Fadèze.
Les
zones libres sont surveillées ; une digue de chevaux de frise sépare
Ougrée de Strépy-Bracquegnies.
Les
murs des grandes préfectures se couvrent d'affiches officielles où l'ont peut
admirer, dans le pur style hyperréaliste, une oreille géante couleur pétale de
rosé, le seul canon autorisé aujourd'hui. La nuit, le groupe des expressionnistes
barbouillent les placards, font jaillir des fontaines de cérumen, collent
rageusement les touffes de leur pubis. Quant aux minimalistes, ils rejoignent
le menu peuple des faubourgs et découvrent les joies de la communication avec
la masse.
Zoé
de La
Chapelle-Aubareil rompt ses fiançailles avec son pasteur peul
pour épouser William de Sainte-Aulaye-de-Breuil ; on craint le pire, le
feu aux poudres.
Après
-la dissipation des brouillards matinaux, le soleil et la pluie changent de
camp ; on espère encore pour le melon.
Malgré
la famine naissante, malgré la peur de la contamination, les poètes lépreux de
Tilloy-les-Mofflaines trouvent du pain sur leur planche, des reines-claudes
dans leur jardin.
Stade
du Parc aux Charettes, une confusion dans les hymnes nationaux dégénère en
pugilat ; on déplore le manque de fair-play des spectateurs, la partialité
de la force publique.
L'otage
échappe à ses kidnappeurs, il n'ose plus affronter les journalistes. Qu'il
entoure son cou de trois rangs d'écharpe ou coiffe son chef d'un chapeau à
large bord, il ne fait que mettre en relief son infirmité.
Trois
messages personnels : Thierry de Brooklyn pique-nique avec les fourmis. —
Mohammed aura-t-il un chagrin ce soir quand le vent sentira la tripe et
1'olive ?— Gilberte épingle le soleil.
Beau
temps sur l'ensemble du pays. Les faiseurs de pluie assoient leur fortune.
Les
émeutiers peignent leurs oreilles de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. A
chacun son frisson ! clament-ils de bon cœur. Les conservateurs,
garants de l'appendice auditif rosé, rasent les murs, ressortent passe-montagnes
et casquettes à rabats, les prélats enfoncent profondément leur mitre. Les
politiciens modérés approuvent le souffle d'une liberté nouvelle mais redoutent
le laxisme et le mauvais goût en matière de bariolage.
Mode :
c'est le grand retour des dessous en indémaillable.
Rien
ne va plus rue Paul Vaillant-Couturier. La célèbre revue satirique La Foire d’Empoigne
se meurt, est morte.
It rains cats and dogs. Piove
a dirotto.
Le
marquis refuse de porter perruque. Chaque jour il arbore de nouvelles prothèses ;
les techniques les plus sophistiquées volent à son secours : mie de pain
et pâte à modeler installées d'abord avec force tuteurs, rivets, agrafes, puis
à l'aide d'un échafaudage déguisé en parure royale et fixé discrètement grâce à
un fil de pêche invisible. Hélas, l'amidon, le fer, 1'ichtyocolle irritent la
peau qui se couvre de dartres, de mycoses malignes.
Les
universités d'été n'ont pas désempli ; la question reste posée :
fiction ou réalité ? L'auteur de La Boue , visite les barrages, Bious-Artigues,
Bort-les-Orgues, Tignes, Génissiat et 1'Afsluitdijk.
Sa
Sainteté voyage, souffre de la tourista ; ses diarrhées sont
déclarées œcuméniques pour éteindre les rumeurs d'une punition céleste.
Dans
les beaux quartiers, on redoute la naissance d'enfants aux oreilles bigarrées.
La
sédition grandit. Les meneurs sont arrêtés et passés au décapant chimique, à la
toile émeri. Les bavures habituelles, vertiges, otites chroniques, surdités définitives,
font un temps la une des médias.
Il
pleut côté cour côté jardin, sur l'espoir d'une fraternité métisse. L'ex-otage
habite le Palais.
Matthieu,
13 ans, se bouche les oreilles et dit : Ça suffit ! Il faut
redescendre dans la rue !
Le
premier melon est amer.
Cortex de nuit n°8, 2è trimestre 1988
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