dimanche 8 juillet 2012

Les rencontres d'été

Michel Valprémy



Vous avez souhaité, au début de l'été, un petit reportage sur les rencontres littéraires de la région*. En manière d'introduction et pour me faire la main, je vous parlerai d'abord, sur le mode exclamatif, de la splendeur du pays. Oui, comme la campagne est belle ici ! Quelle variété ! C’est inépuisable. Il suffit de prendre la route, sans hâte, pour admirer les vignobles nets, ordonnés — on dirait de l'œuvre d'un coiffeur géant, céleste — les vallonnements sensuels, les forêts profondes, obscure, les ruisseaux, les rivières, les châteaux sur les à-pic, les gentilhommières bien cachées, les toitures des fermes qui penchent jusqu’à terre. J'ai négligé ces merveilles familières mais, déjà, j'ai longé les rives du Nil, sué dans le dédale de Fès, respiré les fleurs de l'Alhambra, pleuré — vrai ! — plusieurs fois à Torcello. Je m'interroge. Vous aurez compris, vous, que je retarde le moment d'en venir au fait.
Je suis un homme de théâtre, un théâtre de la tradition lyrique et chorégraphique — le pire et le meilleur ; en douze années, l'engagement actif dan la création contemporaine fut rare et timide. Mais, spectateur zélé, souvent enthousiaste, de nos modernes, j'échappe de justesse au titre peu envié de ringard. Pourtant, je confesse sincèrement mon incompétence en matière de "performances poétiques et plastiques". Je sais, pour l'avoir entendu à maintes reprises, que la règle précisément d'éviter le piège du théâtre. Qu'ai-je vu ? Des chaises pour un public, une cène couverte, des éclairages, une sonorisation, des éléments de décor, des accessoires. J'étais en .territoire connu. La question des applaudissements restait en suspens. On claqua des mains. Bon. On s'est bien en amusé. Néanmoins, nos jeux dans les bacs à sable des jardins publics, les tragédies du jeudi dans les greniers, les saynètes du patronage et les échanges farfelus, les calembours de Moulinier, Dessolas, Bobillot chez Gibertie en août 85 avaient plus de corps, de bouquet, de subtilité et moins de prétention. Las ! mon esprit obtus reprend le dessus, ma postérité est définitivement -ternie.
Jouons donc — c'est bien mon tour ! — à l'orpailleur enfin récompensé et parlons de la Déterritorialisation de Thierry Dessolas. On peut rire de ces petits bouts de phrases découpés, recueillis ça et là. Il est juste d'en rire, notre vie usuelle, nos pauvre élans y sont inscrits, un répertoire tout droit sorti des poche du veston de l'auteur et lu le plus simplement du monde entre deux airs de flutiau. Lucien Suel parle très justement de "gravité légère". Ce travail — c'est un travail — plus rigoureux que ce que l'on pourrait croire (voilà bien une qualité), renferme, ou exhale, une force poétique élémentaire, plus fondamentale que rudimentaire, doublée, comme on le dit d'une pièce de vêtement, de ses propres critiques et dérision ("on efface tout, on recommence"), ce qui, nécessairement, nous émeut.
Je fais mon mea culpa, je n'ai pu assister à ta deuxième soirée, très percutante m'a-t-on rapporté, de cette alliance franco-québécoise. Les improvisations de Robert Gelinas, tonique et "délirant", furent pour moi le dernier écho de la fête.
L'an passé, le programme de Saint-Quentin-de-Caplong annonçait une promenade et un petit déjeuner "littéraires". Je pris la notification au pied de la lettre. S'agissait-il d'un colloque très doctrinal et trop peu sentimental, en vérité les rencontres de "25" ne sont pas formelles ; nul ne s'en plaindra. Les lectures se succèdent sans protocole, au gré des participants. Quelques pauses permettent à Robert Varlez d'apporter le vin (en container !), à Françoise Favretto de faire circuler les olives, les tartines de pâté et diverses nourritures. C'est bien connu désormais : l'amitié vient en mangeant.
Jusque très tard — au loin, les chiens aboyaient — on aura entendu la poésie, des déferlements rauques et autres embardées galactiques d'un Jean-Pierre Espil mi-diable mi-loup au parler naturel — ne dit-on pas voix blanche — de Jacques Izoard. Le texte se suffit-il à lui-même ? Doit-on impunément l'enrober d'effets spéciaux, le mettre expressivement en bouche, en glotte ? La question reste posée même si pour ma part, j'ai tendance à préférer la plus grande neutralité au risque de passer, une fois de trop, pour une vieille barbe. Je ne peux toutefois nier l’existence d'une poésie purement sonore que le rectangle de la page — l'écrit — est impuissant à révéler. Que serait une partition musicale ouverte par un mélomane non initié au solfège ?
Avec Cracking Vocals, Sylvie Nève et Jean-Pierre Bobillot, en vrais professionnels de l'articulation (leur virtuosité et exemplaire), évoquent une préhistoire imaginaire, ludique et blessante de la langue. Ils se défendent d'être des lettristes, ils ont raison. Leur cheminement est parfois ardu (nos borborygmes, nos balbutiements, l'effort désemparé du bègue), ils débouchent, en tout cas, en orthodoxie (osons le mot). En on t-ils "parfois assez d'éructer" comme ils me le confièrent ? On y perdrait.


P.S. 1. Une écrivaine, une jeune femme blonde et moderne que nous aimons tous, qui connaît presque par cœur les insultes dues à son rang, titubait sous la lune ; elle renversa le verre de vin de Jacques Izoard sur la chemise du même Izoard et, pour finir, me transforma en canasson (une charge de 48000 grammes). Deux lettres d'excuses ne suffisent pas ; que sa honte soit publique !

P.S. 2. Qu'il me soit permis de remercier Sylvie Nève, Jean-Pierre Bobillot, Alban Michel qui furent mes premiers lecteurs.

*Premières rencontres internationales d'arts plastiques et de poésie, château de Jumilhac-le-Grand (Dordogne). Soirée du 18 Juillet 1986.
Les 3èmes rencontres des amis de "25" à Saint-Quentin-de-Caplong (Gironde). Soirée du 26 Juillet I986.


Le Dépli Amoureux n°27, septembre 1986

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