à Wenda d'autrefois
MOI — Le ciel
était aussi souple qu’aujourd’hui, elle marchait fiévreusement
LUI — …
MOI — Elle
avait murmuré : « Offre-moi les mouettes »
LUI — « Elle » ?
MOI — Oui… l’Autre,
la fille-proue…
LUI — Oui… 1’Autre,
la femme-argile…
MOI — J’ai
couru sur le sable jusqu’à ce que mon cœur cogne mes dents. Clos dans les chaos
de ma course. L’oiseau semblait soudain plus proche. Je me projetais dans l’air
dur. Le saisir. Il n’existait plus. Mes yeux avalaient le sable, mon ventre s’écorchait
aux coquillages, la mer brûlait mes blessures. J’oubliais toutes mes attentes à
mordre le vent. Elle ?... je l’aimais ; je cherchais son parfum
contre les varechs lorsque ma rage la désirait proche. Je piétinais leur
humidité visqueuse. Elle ? je l’aurais captée sur mes tourments. J’étais
capable de toutes les forces. Elle possédait les raisons des mirages…
LUI — Mais « elle »
savait percer tes yeux.
MOI — L’Autre
mon Autre…
LUI —Ton
Autre, les rancœurs de l’orage.
MOI — Elle répétait encore : »Offre-moi les
mouettes ! »Et je riais à rompre les veines de mes tempes. Le bonheur
s’infiltrait dans mes épaules, elle allait me prendre la main. Le soleil
tournait en ma gorge. Le petit poing minuscule. Ces doigts que le froid
recouvrait de marbre. Les embruns cinglaient ses longs cils sombres, une larme
tremblait sur sa pommette et glissait jusqu’à sa bouche.
LUI — Elle te
repoussa lorsque tu voulus 1’approcher. Tu rêvais ; tes lèvres sur les
siennes, et, cette larme salée entre vous, pour vous, à vous ; elle a
refusé ton baiser.
MOI — Non !!
Elle voulait contempler le soir sur la mer.
LUI — Mais
oui, je sais. Mille fois déjà. Ensuite, votre seule grande joie…
MOI — Pourquoi
la « seule » ? Je n’ai pas tout avoué. Quelques secrets encore
me rongent, m’adoucissent ou me tyrannisent.
LUI — A. moi ?
Tu n’a pas tout dit, tout écrit. A force de répéter tes angoisses, je croyais
que tu avais encerclé, enfermé l’aventure avec cette AUTRE.
MOI — Je t’interdis
de prononcer ainsi ce mot. Tu m’avais promis de ne plus le crier. Et, que
signifie « 1’aventure » ? Le temps de l’homme n’est pas une
succession d’actes irréguliers ,mais le développement continuel d’un germe qui
doit vivre le chemin qu’il mérite.
LUI — Je
voulais simplement te reconduire au réel.
MOI — Mais, je
suis vivant pour faire éclater toute durée innocente, toute habitude sereine. J’ai
choisi, prétentieusement, le sentier de la spirale. L’ascension. Je repousse
les pauvres oracles, les langueurs superflues. Ouvert sur les vastes hasards. Elans
de feu. Désirs équivoques. Enivré du Mystère.SOI .Elle était ma fleur et ma
rocaille.
LUI — « Elle » ?
MOI — …
LUI — Toujours
cette Autre. Le chardon et Le fouet.
MOI — Ce
jour-là, elle m’avait capturé. Le calme, la folie. J’accompagnais les jeux-cris
de nos amis sur la plage. Soudain (irritée de ce qu’un instant de sueur et de
gorge desséchée je lui échappais) elle me tira par le bras en me griffant la
chair. Furieusement — œil d’animal — elle m’écarta du groupe. Ensuite sa crispation
s’assouplit et les doigts détendirent leur férocité. Elle me souriait. Plage de
ses dents. Nous marchâmes longtemps les pieds dans la dernière dentelle des
vagues. L’air chaud écaillait la peau. Parmi les ajoncs des dunes, elle s’assit
sur son ombre morte et doucement s’allongea. Cambrure féline. Le visage fluide,
mouvant ; le silence. Je m’inclinai vers elle et cognai mes lèvres contre
les siennes. Je ne la désirais pas. Je n’étais plus chaste. Lorsque je relevai
la tête le soleil fondait ses rayons mauve sous l’horizon altéré.
LUI — N’as-tu
pas oublié de dire qu’elle pleurait de courts sanglots ?
MOI — Je n’ai
voulu oublier que ton rictus ironique. Tu disais toujours que j’inventais ces
détails par souci de « romantisme ». Oui, elle pleurait. Ses lèvres
repliées sur ses dents. La seule faiblesse entrevue. Elle a dit : « Je
suis peut-être trop étale. Pars ! » Lui
obéir. J’ai répondu : « tu es au-delà de nous, tu es mon Autre
souhaitée, mon Autre recherchée, l’Autre envoûtée, l’Autre balbutiée, hurlée,
secourue ; mon Autre reconnue, captée, pierre ou fruit,1’Autre contemplée,
l’Autre difficile, mon Au-… »
LUI — …
MOI — Dans la
nuit ,1e sommeil s’échappait ; j’écrivais le poème que je certifiais
celui du renoncement à toute défaite banale. Vulgarité chassée : « PAR
PEUR DE TE PERDRE ».J’avais dix-huit ans, ivre de recherches pures, comblé
d’un seul regard singulier.
LUI — Ce n’était
plus aussi simple. Perfide ou stratège. Votre « affection » s’engluait
dans ta souffrance.
MOI — Non Elle
était innocente de trop désirer. Accepter mon corps signifiait pour elle s’échouer
sur le seul rocher acide que pût dissimuler une mer plate, embrasée de soleil.
LUI — Tu
crains d’avouer qu’elle jouait des tourbillons de l’attente. Je sais, tu aimes « attendre
ton attente ». Elle se moquait des masques de ton amour.
MOI — Faux !!
Elle protégeait les tendresses (soifs, étoffes, prairies) de notre enfance.
LUI — Elle
livrait aux autres garçons, tes amis, les formes-nymphes de ce corps heureux
qui te bouleversait.
MOI — Mais, cela
n’avait aucune importance. Je n’espérais que la hâte de sa présence. Je me
souviens un soir de fête (odeur ivoire des bougies) — son retard mortel — m’être
désespéré jusqu’à gémir face aux étoiles. Elle parut, naturelle et sans excuse,
j’effaçai les stigmates de ma peine d’un calme baiser sur sa main.
LUI — Tu t’égares.
Rappelle-toi le goût lugubre de ta salive ! le fiel de tes sangs. L’orage
de ton front. Elle n’a jamais été l’épouse ; tu parlais sans cesse de
noces !
MOI — Nous
étions complices dans l’âme. Les paroles-réponses correspondaient aux questions
tues. Le hasard et l’envie réconciliés.
LUI — Jamais
ses épaules-plumes sous tes dents…
MOI — Je
possédais son regard !
LUI — Les
seins de l’enfant surpris.
MOI — Ses
mots vibraient .Le miracle d’un chant…
LUI — La
soie mouvante des cuisses.
MOI — Lé
miracle des eaux,
LUI — Le
soleil du ventre.
MOI — J’aimais
observer les fragments divers de sa peau hâlée. Les paupières s’abaissaient
délimitant une parcelle d’épiderme plus pâle et plus fragile.
LUI — Tu
estompes les cernes de ton désir. Souviens-toi encore ! L’été développait
les courses, les baignades ; elle nageait plus loin, tu courrais plus
vite. Ne l’appelais-tu pas ? mon cygne » ?
MOI — Si !
« Mon cygne noir ». Elle disait : « Pourquoi noir »,
Je ne répondais pas, mais je fixais ses cheveux amples qui frôlaient ses bras. Souplesse
ondulée des roseaux,
LUI — Tu la
rejoignis un jour derrière la cassure bleue des vagues. La serrer contre ton
corps ; elle ne se débattit pas, enfonça ses ongles dans la chair de ton
dos huilé et te déchira. Elle échappait de ton souffle !
I
MOI — Non !
Elle ne m’échappait pas, elle accroissait mon envie de partage. J’allais aux
marécages. Je ne souffrais pas. Je m’exhumais d’odieuses fadeurs.
LUI — Ton
corps, lui, criait.
MOI —Elle ?
Je ne l’imaginais pas dans l’extase.
LUI — Tu ne
parles plus de ce jour où le désir oppressait tes perceptions soumises. Tu
frissonnais dans la joie du soleil, tu ne marchais plus sous les pins tu ne
racontais plus tes rêves aux enfants que ton mutisme faisait pleurer.
MOI — Parle
encore, toi !! Ma mémoire me tourmente et je m’y plais. Ne force pas le
silence ! Ouvre le délire !
LUI — IL
arriva, sans surprise. TOI fracassé. Sa jeunesse égale à la tienne, mais
assurée. Vertiges. Le visage dur. Comme un arbre battu des tempêtes. Presque
nu. La fraîcheur sur cette plage-brasier. Ah ! courir contre lui comme on
se précipite vers un abri par temps d’orages et de peurs. Détourné pour éviter
de céder. Son regard s’abandonnait sur ton profil. Tu te sentis, granit, mousse
et lilas. La couleur pâle des yeux. La poitrine d’un Empire perdu. Fort, élégance
de l’ombre, Entouré des fumées de sa cigarette. Oeil humide. Le ventre-nénuphar
.Tes cils piqués. Odeur de tabac et de peau. Soleil révulsé.
MOI — Arrête !!
J’ai froid maintenant de ma solitude.
LUI — Sur la
nuit que tu avais nommée « Italienne », « dantesque » ou « machiavélique…
MOI — Non !
assez !! Non ! … « florentine »… achève !
LUI — Tai
bouche sur ses yeux, tes jambes dans ses jambes, son sourire mordu.
MOI — La
chair-certitude.
LUI — II
avait dévié ton attrait.
MOI — Le
lendemain, exalté, je lui contais la joie. Elle m’embrassa vivement les
cheveux, le cou, puis se tut un instant pour regarder comme à son habitude la
mer obscure — velours des vagues — sous le ciel mat. Elle s’agenouilla, rivant
nos regards, et posa ses lèvres sur le haut de ma cuisse. Je ressentais leur
chaleur souffle — à travers l’étoffe mince du maillot, elles glissèrent furtivement
jusqu’à frôler mon sexe ; la fille-folie se releva et s’enfuit. Doigts
amers.
LUI — Elle n’a
rien dit ?
MOI — Si !
« j’ai tout protégé de nous ; j’ai tout vaincu pour toi, tu peux
vivre de toi ! ».
LUI — Et, tu
ne l’as jamais revue.
MOI — Non !
Des cauchemars d’orties et d’insectes.
LUI — Quelques
rêves. Images d’anciennes tendresses.
MOI — AU…TRE…
LUI — …(soupir)
MOI — …(soupir)
LUI —
Regarde ces mouettes posées ! Elle te disait souvent…
MOI — Qui « elle » ?
LUI — Ton
Autre !
MOI — Mon autre ?
Peut-être…
Inédit, janvier 1972 revue 1980
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